Sur les rythmes d’Africa Negra, ou les « good vibes » de São Tomé-et-Príncipe

Article : Sur les rythmes d’Africa Negra, ou les « good vibes » de São Tomé-et-Príncipe
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7 octobre 2014

Sur les rythmes d’Africa Negra, ou les « good vibes » de São Tomé-et-Príncipe

Cet été, vers la fin du mois d’août, alors que je réalisais un stage au département Afrique Lusophone de RFI, une collègue de la rédaction a annoncé quelque chose de ce genre-là:

« Hé! Les gars! Les Africains noirs se reforment cet été! »
[traduction personnelle et aproximative]

Et là, j’me suis dit que j’comprenais un truc de travers. Que vraiment, ce genre de pléonasme était d’un humour douteux. Pourtant, je remarquais quand même un certain enthousiasme de la part de la rédaction. Je me demandais ce qu’ils avaient tous, vraiment!

Ma surprise a atteint son paroxysme quand il y a eu la musique.

Pochette du disque Africa Negra
Pochette du disque Angelica, d’Africa Negra

Des percussions africaines, très joyeuses, que l’on imagine très bien être à l’origine de la musique des Antilles, par cultures exportées. Et de belles phrases de guitares électriques, langoureuses, répétitives, avec de belles voix sonores et ensoleillées, en créole, apparemment.

Et c’est là que je remercie ma curiosité. On répète souvent que la curiosité est un vilain défaut. Comme le disent les Normands : « Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ». C’est comme tout, hein? Y a du pour, du contre… Enfin bref, je divague!

Quoiqu’il en soit, cette sacrée curiosité m’a fait me lever de mon fauteuil pour aller voir quel était ce groupe de musique qui me mettait tellement la pêche par cet après-midi pluvieux.

[Et là, je me permets un petit commentaire en apparté. Parce que vraiment, cet été à Paris, on aurait dit l’automne, avec sa pluie quotidienne et sa température aux alentours des 15 degrés! On était bien loin de l’Afrique et du soleil que me transmettait alors les rythmes sortant des baffles du petit ordinateur.]

Bref, je me lève pour me renseigner, et je vois le nom du groupe sur la vidéo : « AFRICA NEGRA »!

Et soudain, tout a pris sens, à mesure qu’une vague de soulagement me submergeait. C’est alors que j’ai pu revenir sur une traduction maladroite que j’avais fait cinq minutes plus tôt:

« Hé! Les gars! Y a les Africa Negra qui se reforment cet été! » [Traduction personnelle, mais beaucoup moins approximative que la précédente.]

Ouf! Et merci!

Mais il est vrai que j’avais peu de chances de connaître les Africa Negra, groupe de São Tomé-et-Príncipe qui se reformait après 20 ans d’absence. Et c’est pourtant un des grands noms de la musique de cette île, comme je l’ai découvert peu après, grâce, décidément, à cette sacrée curiosité!

Le groupe s’est formé dans le début des années 70, autour d’Emilio Pontes et d’un certain Horacio, pour finir par se baptiser, en 74, le Conjunto Africa Negra. Il fut rejoint peu à peu par les guitaristes Imidio Vaz et Leonildo Barros, ainsi que par le chanteur Joao Seria. De part la position géographique de l’archipel, leurs principales influences furent celles des musiques du Gabon, du Congo, du Cameroun, ainsi que les phrasés guitaristiques typiques de l’Afrique centrale.

Le peuple et l'armée attendent la rédition du dictateur Marcelo Caetano
Le peuple et l’armée se retrouvent devant le siège de la Garde Nationale Républicaine, au Largo do Carmo, à Lisbonne, où s’est réfugié le dictateur Marcelo Caetano.
Source : Centre de documentation du 25 de Abril, Université de Coimbra

Nous sommes alors en plein processus de décolonisation. En effet, les longues guerres coloniales du Portugal dans ses possessions africaines (Angola, Mozambique, Cap-Vert, Guinée-Bissau et São Tomé-et-Príncipe) ont épuisé les troupes de la métropole et provoqué leur révolte, entrainant la chute d’un régime déjà moribond. Le 25 Avril 1974, la Révolution des Oeillets met fin à la dictature et permet l’ouverture du processus d’indépendance. Les négociations avec le Mouvement de Libération de  São Tomé-et-Príncipe (MLSTP) se déroulent calmement, se concluant par la déclaration d’indépendance le 12 juillet 1975. Bientôt 40 ans, donc…

Je ne voudrais pas rentrer dans les détails d’une période et d’un pays que je n’ai pas connu. Mais il paraît clair que les années 80 furent celles du succès d’Africa Negra. Ils tournent régulièrement dans l’archipel, se rendant également de nombreuses fois en Angola, au Portugal et au Cap-Vert. Et d’après mes collègues, dont il était difficile pour moi de partager l’enthousiasme du fait de mon ignorance, il s’agissait réellement d’une référence pour la musique de São Tomé.

On trouve d’ailleurs dans ce groupe une musique qui lui est propre. Ce n’est pas cette mélancolie capverdienne, parfois commune aux mélodies angolaises. Non. Ce sont des rythmes tropicaux et propres à São Tomé-et-Príncipe. Et je le précise, car il est essentiel de percevoir la diversité de toutes ces cultures. Il faudrait éviter l’écueil de tout globaliser dans une culture qui serait celle des pays d’Afrique parlant le Portugais. Il serait en effet dommage de ne pas distinguer les subtilités culturelles inhérentes à chacun des pays concernés, et qui font leur richesse.

C’est pour cette raison aussi que je tenais à parler d’Africa Negra, car finalement, l’archipel de São Tomé-et-Príncipe demeure peu connu. On me demande souvent quelles étaient les anciennes colonies portugaises sur le continent africain. Si l’on se souvient facilement du Cap-Vert, de l’Angola, il n’en est pas de même pour cette petite île de 200 000 habitants, au milieu du Golfe de Guinée.

Quoiqu’il en soit, Africa Negra, en tant que formation musicale essentielle de São Tomé-et-Príncipe, contribue à la diversité de la Lusophonie. La reconnaissance de ces musiciens permet la visibilité de la singularité culurelle des Santoméens, et à travers cela, la prise en compte d’une culture créole, riche et variée, mêlée d’Afrique et de Portugal, et de tant d’autres influences.
Peut-être que le fait de jouer pour la première fois de leur vie dans un pays européen autre que le Portugal, au festival Wassermusik de Berlin, le 2 août 2014, est une première voie vers une plus grande reconnaissance?

Le groupe Africa Negra a Berlin en août 2014
Le groupe Africa Negra à Berlin en août 2014

Je me permets d’ailleurs de remarquer qu’à l’occasion des 40 ans de la Révolution des Oeillets, le festival a été dédié à la Lusophonie, et non uniquement au Portugal. C’est dire la perspicacité des organisateurs de dépasser le simple point de vue européo-centré pour avoir une réflexion globale des échanges culturels.

Africa Negra s’est également produit quelques jours auparavant au Festival des Musiques du monde de Sines (une référence!) le 23 juillet 2014. Ils n’avaient alors plus joué au Portugal depuis les années 80.

[Le festival a mis en ligne un extrait vidéo de leur concert, avec un petit résumé de leur histoire en voix off.]

En guise de conclusion à ce billet un peu long, j’aimerais citer une anecdote concernant la chanson Alice et relatée dans ce blog de la radio (elle aussi internationale) Voice of America :

« Alors qu’ils allaient monter sur scène un vendredi soir quelque part dans une banlieue de  São Tomé, un jeune homme désespéré s’est approchant de Leonildo Barros pour lui demander un service. Il lui a expliqué qu’en se rendant aux « fundoes* », une dispute assez sérieuse a éclaté entre sa petite-amie et lui, mettant fin à leur relation. La seule façon de la récupérer serait que le groupe chante une chanson d’amour à Alice, sa désormais ex-petite-amie. Leonildo a bien protesté qu’ils allaient monter sur scène, qu’ils n’avaient pas de parole, ni même le temps de chercher un thème pour improviser. Le jeune homme a insisté, promettant de payer sa tournée de bière à tout le groupe si ce dernier l’aidait dans son entreprise. Vers la fin du concert, Leonildo et le groupe ont improvisé le morceau désormais connu sous le nom d’Alice. »

Et pour les curieux qui comme moi s’intéressent aux musiques du monde en général, ou aux musiques de la Lusophonie en particulier, quelques recherches vous permettront d’écouter en ligne les jolies mélodies chaloupées d’Africa Negra!

*fundoes : Les fundoes étaient des bals en plein air qui réunissaient les différentes communautés locales : les métisses, les descendants des colons portugais et les esclaves africains, les Angolares, descendants des esclaves angolais ayant fait naufrage et se réfugiant dans les communautés de pêcheurs de la zone sud, et les descendant des travailleurs capverdiens et moçambicains qui étaient venus travailler dans les plantation de café et de cacao de l’île.
Source : https://www.buala.org/pt/palco/africa-negra

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Commentaires

Lilith
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Article très intéressant! Merci pour ces informations : j'ai découvert Africa Negra récemment, et c'est vrai que ces rythmes m'ont tout de suite interpellés! J'ai par la même occasion entendu parler de São-Tomé et Principe!